Par Boris Luneau

Conseils d'expert-comptable BNC #25 : Le nouveau statut de l'entrepreneur individuel (patrimoine protégé)

Cet article a vocation à présenter certains points méconnus ou qui font l’objet de questions récurrentes de kinés, médecins, infirmières… par le biais de conseils et points de vigilance, pour assurer une meilleure gestion de votre cabinet libéral, optimiser votre situation fiscale et sociale ainsi que pour réduire vos risques.

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Une protection d’office du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel

Tout professionnel de santé libéral ayant opté pour le statut d’entrepreneur individuel, que ce soit avant ou après la réforme, et exerçant donc en son nom propre une activité professionnelle indépendante, est désormais titulaire, de plein droit, soit sans qu’il soit nécessaire d’accomplir un quelconque acte de volonté ou toute autre formalité (notamment ni déclaration préalable d’affectation, ni état descriptif, ni apport soumis à l’intervention d’un commissariat aux apports), de deux patrimoines distincts :

  • Un patrimoine professionnel constitué – automatiquement – des biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes ;
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments de son patrimoine non compris dans son patrimoine professionnel.

Vous l’aurez compris en lisant ces quelques lignes, la notion du caractère d' »utilité » professionnelle est donc primordiale afin de déterminer le caractère professionnel ou personnel d’un élément de son patrimoine !

D’autant plus, qu’il n’est pas nécessaire que l’élément en question soit inscrit au registre des immobilisations de l’entreprise pour le qualifier de professionnel (les entreprises au régime micro-entrepreneur ou micro-BNC sont d’ailleurs concernées !)

Afin de clarifier la situation, le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022, via l’article R. 526-26 du Code de commerce, est venu préciser cette notion d’utilité en dressant une liste des biens, droits et obligations réputés utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel.

Les voici :

Le fonds libéral / La patientèle

Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral (ce qu’on qualifie souvent « d’achat de patientèle » ou de « parts »), font automatiquement partie du patrimoine professionnel.

Les équipements

Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison, font automatiquement partie du patrimoine professionnel.

Les biens immobiliers

Les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel, ainsi que les actions ou parts d’une société détenus par l’entrepreneur individuel et ayant pour activité principale la mise à disposition d’immeubles au profit de l’entrepreneur individuel, font automatiquement partie du patrimoine professionnel.

Attention ! Si votre adresse professionnelle est votre domicile, notamment dans votre déclaration initiale ou modificative de CFE – cotisation foncière des entreprises, ou sur vos documents professionnels à destination des tiers, ou bien si déduction d’une partie de votre loyer, chauffage et électricité de votre domicile en cas d’utilisation d’une partie de votre habitation pour votre activité comme c’est parfois le cas pour votre activité administrative (facturation, comptabilité, courriers…), cela pourrait être un élément permettant à un tiers de justifier une saisie de votre domicile! C’est d’autant plus vraisemblable si le prix du m² est élevé sur votre territoire, car il pourrait inciter votre créancier (souvent les banques) à initier une saisie/indivision.

Sachez également que la résidence principale de l’entrepreneur individuel est insaisissable de plein droit (sans nécessité de déposer une déclaration d’insaisissabilité) depuis La loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, tandis que l’insaisissabilité des autres biens immobiliers (ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti) détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle est subordonnée à l’accomplissement d’un acte de déclaration. Cependant, l’article L. 526-1 du Code de commerce indique que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire, tandis que lorsque le bien foncier, qui n’est pas la résidence professionnelle, n’est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, la partie non affectée à un usage professionnel ne peut faire l’objet de la déclaration qu’à la condition d’être désignée dans un état descriptif de division ! L’insaisissabilité n’est cependant jamais opposable à l’administration fiscale en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales. Enfin, autre chose à savoir, les effets de l’insaisissabilité subsistent :

  • après la dissolution du régime matrimonial lorsque l’entrepreneur est attributaire du bien ;
  • en cas de décès jusqu’à la liquidation de la succession ;
  • en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, sur le montant de la cession, sous condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par l’entrepreneur individuel d’une nouvelle résidence principale.

Les biens incorporels

Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne, font automatiquement partie du patrimoine professionnel.

La caisse

Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, ainsi que les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, font automatiquement partie du patrimoine professionnel.

Conseils importants :

  • Ouvrir un compte bancaire séparé pour son activité professionnelle (si ce n’est pas déjà obligatoire  compte tenu de votre statut) vous permettra d’étanchéifier vos comptes personnels et professionnels, en cas de saisie lancée par un tiers sur votre patrimoine professionnel (sachant, pour rappel, que la charge de la preuve du caractère personnel – et donc non saisissable – d’un compte bancaire vous incombera en cas de contestation sur la composition des patrimoines !) ; et au-delà de cet aspect, ouvrir un compte dédié (non nécessairement un compte dit « professionnel ») présente d’autres atouts à retrouver dans notre article dédié : https://octomed.fr/conseils-dexpert-comptable-bnc-6-le-compte-bancaire-pro ;
  • Modifier le nom de son compte bancaire professionnel afin de le distinguer de ses comptes personnels, afin d’être en accord avec l’article R. 526-27 du Code de commerce qui prévoit que « chaque compte bancaire dédié à son activité professionnelle ouvert par l’entrepreneur individuel doit contenir la dénomination dans son intitulé », l’objectif étant là encore d’éviter que l’ensemble des comptes puissent être considérés professionnels en l’absence de signe distinctif ! La DGE a pour sa part indiqué que les sommes nécessaires aux besoin courants de l’activité professionnelle, déposées sur un compte ni pro ni dédié à l’activité pro (donc un compte réellement perso, seraient considérées comme faisant partie du partie du patrimoine professionnel (cf. vidéo suivante : https://www.fuzexperts.tv/media-345-loi-api-objectif–prot%C3%A9ger-le-patrimoine-personnel-des-entrepreneurs-individuels).Comme certains le remarqueront, cette obligation de nomination entre en conflit avec l’absence d’obligation de détenir un compte bancaire distinct (pour la majorité des entrepreneurs individuels), ce qu’a rappelé à juste titre le Conseil d’Etat, qui a suggéré des précisions via un futur décret ! Mais sachez qu’au-delà de cet aspect de composition patrimoniale, il reste toujours judicieux d’ouvrir un compte dédié (non nécessairement un compte dit « professionnel ») pour différentes bonnes raisons à retrouver dans notre article dédié : https://octomed.fr/conseils-dexpert-comptable-bnc-6-le-compte-bancaire-pro ;
  • Exclure le compte d’épargne dédiée à votre activité professionnelle de la comptabilité professionnelle, sous réserve que ce compte ne soit pas qualifié contractuellement comme un produit d’épargne destinée aux entreprises, vous permettra également de bien séparer vos patrimoines. Il sera par conséquent recommandé d’enregistrer comptablement vos virements depuis votre compte courant dédié à votre activité professionnelle vers ce compte d’épargne, comme étant des « prélèvement personnels » ou autrement dit de la « rémunération » afin de bien les exclure du patrimoine professionnel. Pour information, les produits financiers générés par cette épargne seront imposés à titre personnel via les éléments transmis automatiquement par votre banque à l’administration fiscale et figureront ainsi directement dans votre déclaration de revenus préremplie ! ;
  • Ne pas « laisser » trop de trésorerie sur le compte courant dédié à l’activité professionnelle, aussi pour estimer le montant minimum de trésorerie à conserver vous pouvez lire notre article dédié : https://octomed.fr/conseils-dexpert-comptable-bnc-5-la-tresorerie/).

Les prélèvements personnels, achats et immobilisations enregistrés en comptabilité

L’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables (sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise), lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires (ce qui est le cas pour les professionnels de santé au régime réel), font automatiquement partie du patrimoine professionnel.

Il s’agit notamment :

  • du matériel inscrit au registre des immobilisations ;
  • des petits achats d’un montant inférieur à 500 € hors taxes enregistrés en dépenses déductibles (en immobilisations au-delà de ce montant) ;
  • de manière plus générale la trésorerie disponible !

En gardant néanmoins en tête, qu’il est prévu par ce même article R. 526-26 du Code de commerce, que les documents comptables (toujours sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise) sont présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel. Autrement dit, il peut être judicieux de prélever le maximum possible de trésorerie au titre de « prélèvement personnel », quitte à placer cet argent sur un compte d’épargne particulier (notamment en vue de faire face aux régularisations de cotisations sociales et à l’impôt sur les revenus exigibles en N+1 ou après une fin d’activité) !

En cas de désaccord

L’article L. 526-22 du Code de commerce prévoit que la charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires concernant l’inclusion ou non de certains éléments dans le périmètre du droit de gage général du créancier, et indique également que la responsabilité du créancier peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général (patrimoine professionnel notamment.

Pour approfondir

Le sujet vous passionne (ou si vous cherchez une solution pour trouver le sommeil), voici les différentes textes juridiques fondateurs :

  • Loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ;
  • Décret n° 2022-709 du 26 avril 2022 relatif à la mise en extinction du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ;
  • Décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 relatif à la définition du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel et aux mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel ;
  • Décret n° 2022-799 du 12 mai 2022 relatif aux conditions de renonciation à la protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel et du transfert universel du patrimoine professionnel ;
  • Arrêté du 12 mai 2022 relatif à certaines formalités concernant l’entrepreneur individuel et ses patrimoines ;
  • Décret n° 2022-933 du 27 juin 2022 relatif aux modalités d’option de l’entrepreneur individuel pour l’assimilation au régime de l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ou de l’exploitation agricole à responsabilité limitée et de renonciation à l’option pour l’impôt sur les sociétés.

Dans la continuité, voici un florilège d’articles émis par les experts juridiques des Editions Francis Lefebvre (un éditeur de référence dans le domaine de l’expertise comptable et du droit) analysant et commentant ces nouvelles dispositions juridiques : https://www.efl.fr/actualite/affaires/entreprise-individuelle

Pour en savoir plus

Nous vous rappelons que les conseils prodigués par votre expert-comptable s’appliquent aux professionnels libéraux de santé conventionnés exerçant en entreprise individuelle, soumis au régime fiscal de la déclaration contrôlée 2035 ou micro-BNC, et au régime social des travailleurs non-salariés (TNS), exerçants en métropole, hors zone territoriale bénéficiant de dispositifs fiscaux et sociaux incitatifs spécifiques. Il s’agit du cas très largement majoritaire dans vos professions.

Il est recommandé de se faire accompagner par votre expert-comptable pour s’assurer que les conseils ci-après s’appliquent bien à votre situation spécifique et éviter d’éventuelles erreurs d’interprétation. Pour en savoir plus sur Boris Luneau, votre expert-comptable OctoMed, ça se passe ici : Page présentation Boris Luneau – Expert-comptable

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